Dossier

Contre la Covid-19...

Contre la Covid-19...

Les chercheurs de l’université de La Réunion mobilisés

Dès les premiers jours de la crise sanitaire, l’université de La Réunion s’est organisée pour continuer à fonctionner mais aussi pour apporter sa contribution à la lutte contre la Covid-19. Ses chercheurs spécialisés en infectiologie ont mobilisé, ensemble, leurs compétences et leurs ressources pour lancer des projets susceptibles, à leur terme, de proposer des solutions de diagnostic et de prévention de la maladie, mais aussi des solutions thérapeutiques. La pandémie en cours met en valeur le niveau d’excellence atteint dans plusieurs domaines de la recherche à l’université de La Réunion.

Avant même que les premiers cas de contamination par le nouveau coronavirus ne soient détectés sur l’île, l’université a répondu à l’appel du centre hospitalier universitaire. Aux côtés du Cirad (centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement), elle a intégré la task force constituée en urgence pour faire face en cas de flambée épidémique. Isolée, très éloignée de la métropole et disposant d’un nombre limité de lits en réanimation, La Réunion pouvait alors connaître une situation dramatique. Cette perspective nécessitait de mobiliser toutes les ressources présentes sur le territoire, au mois de mars. Des moyens techniques (réactifs, consommables, masques) ont été mis à la disposition de l’hôpital, des ingénieurs et des techniciens des unités de recherche de l’université ont été mis en alerte pour venir prêter main forte au CHU, grâce à leurs moyens de dépistage et d’analyses.

Dans le même temps, les deux UMR PIMIT (processus infectieux en milieu insulaire tropical) et DéTROI (diabète athérothrombose thérapies océan Indien) ont eu une pensée pour les étudiants démunis en produisant plusieurs centaines de flacons de gel hydro-alcoolique, distribués gratuitement sur les campus du Moufia et du Tampon via l’épicerie solidaire.

Ce geste symbolique n’était que le début de l’engagement contre la Covid-19 de ces deux unités, dont les savoir-faire peuvent contribuer à la lutte contre l’épidémie devenue pandémie. L’objectif scientifique de PIMIT, sous la quadruple tutelle de l’université de La Réunion, du CNRS, de l’Inserm, et de l’IRD, est ainsi d'appréhender les relations entre les agents infectieux et les hôtes, et notamment de rechercher des pathogènes dans la faune sauvage pour les caractériser et étudier leur passage chez l’homme. Son directeur, Patrick Mavingui et ses collègues ont participé à des travaux et cosigné des publications sur les coronavirus qui circulent dans la région, via diverses espèces de chauve-souris. L’océan Indien occidental est un des hot spots de la biodiversité mondiale : cette richesse présente aussi le risque de favoriser le passage de nouveaux microbes de l’animal à l’homme, notamment quand les écosystèmes sont perturbés. Plus de 8% des chauve-souris étudiées récemment étaient par exemple porteuses de divers coronavirus.

Quand le SARS-CoV-2 est apparu en Chine, puis est arrivé en France, « nous avons naturellement souhaité contribuer aux recherches sur le sujet, explique Patrick Mavingui. Ce virus a des cousins plus ou moins lointains dans notre région, qui peuvent sortir de la faune sauvage. Nous avons créé nos laboratoires à La Réunion pour faire face à des situations d’émergence infectieuse».

Trois projets de recherches présentés à la Région 

PIMIT et DéTROI ont répondu à l’appel d’offres flash Covid-19 lancé en mars par l’agence nationale de la recherche (ANR) pour mobiliser les communautés scientifiques contre la pandémie. Le projet réunionnais n’a pas été retenu pour bénéficier d’un financement immédiat mais a été placé sur une liste complémentaire par l’ANR. En attendant, l’université de La Réunion a débloqué un fonds d’amorçage pour que les chercheurs des deux unités poursuivent leurs travaux.

Les deux UMR ont également répondu à l’appel à manifestation d’intérêt lancé le 19 mai dernier par la Région Réunion en mobilisant le programme européen FEDER. PIMIT porte un projet collaboratif de « task force de recherche contre la COVID-19 et les coronavirus à La Réunion », associant deux autres unités, CHEMBIOPRO (laboratoire de chimie et de biotechnologie des produits naturels) et PVBMT (peuplements végétaux et bioagresseurs en milieu tropical), ainsi que le CHU. Ce projet comporte deux volets : la détection de potentielles mutations des souches du virus ayant circulé à La Réunion et le développement de thérapies innovantes, sur la base des acquis sur les plantes médicinales de La Réunion et les nanoparticules d’or ou lipidiques (voir notre article L’espoir d’un diagnostic et d’un vaccin « pays »). Le dossier présenté par DéTROI porte plus spécifiquement sur la mise en œuvre de nanoparticules lipidiques pour soigner des patients souffrant de troubles métaboliques ou vasculaires (voir notre article DéTROI propose une piste thérapeutique)

« Ces projets témoignent du dynamisme et du niveau d’excellence atteint par notre université, notamment dans les domaines de la biologie, fondamentale et appliquée, et de la recherche biomédicale, confirmés par la dernière évaluation du Haut conseil de l'évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur », souligne Gilles Lajoie, président du conseil académique.

Un troisième projet a été déposé par l’université de La Réunion en réponse à l’appel de la Région, dans le domaine des sciences sociales (voir notre article La Covid-19, d’un outre-mer à l’autre).

« La Réunion va apporter, c’est certain, sa petite pierre à l’édifice de la recherche internationale pour combattre la Covid-19 », estime Gilles Lajoie. « Cette crise va nous faire franchir un pas de géant », espère Patrick Mavingui.

La Réunion va apporter, c’est certain, sa petite pierre à l’édifice de la recherche internationale pour combattre la Covid-19.

Gilles Lajoie, président du conseil académique

Platin-OI, poste avancé de la recherche européenne

Avec Platin-OI, La Réunion dispose d’un plateau d’infectiologie de pointe, rendant possible de nombreux projets de recherche sur les maladies infectieuses et leurs vecteurs présents en zone tropicale. Ouvert en 2018 dans les murs du Cyroi, (cyclotron océan indien) à la Technopole, il se compose de trois laboratoires de travail confinés et sécurisés de niveau 3, incluant une animalerie et un insectarium. « Platin-OI est un poste avancé de la recherche européenne », souligne son directeur, le microbiologiste Patrick Mavingui.

Retrouvez le reportage vidéo qui lui a été consacré dans le n°1 du webmagazine recherche de l’université.

PIMIT: l'espoir d’un diagnostic et d’un vaccin « pays » 

L’expertise de l’unité de recherche PIMIT lui permet de proposer la mise au point de moyens de lutte contre la Covid-19 adaptés aux réalités réunionnaises, en partenariat avec la start-up Torskal. Le projet vise à détecter les potentielles mutations des souches de virus ayant circulé à La Réunion, en utilisant une méthode de diagnostic conçue localement. Cette méthode peut également être mise en œuvre pour rechercher un vaccin.

Le dépistage de la Covid-19 nécessite d’utiliser des produits réactifs rationnés au plan national, La Réunion ne sera certainement pas la première destinataire des premiers vaccins qui seront mis au point. Face à ces réalités insulaires, l’unité mixte de recherche Processus Infectieux en Milieu Insulaire Tropical (PIMIT) a orienté ses réflexions sur la recherche de solutions locales.

« Quand la maladie est apparue, nous avons tout d’abord recherché à élaborer des techniques de diagnostics rapides, explique le professeur Philippe Desprès, virologiste, à la tête de l’une des deux équipes de PIMIT spécialisée en immunologie infectieuse et en sérologie. En développant des outils de diagnostic sérologique, nous serons en mesure de détecter des anticorps produits par l’organisme pour se défendre, et contre quelle forme de coronavirus puisqu’il est établi que ces derniers évoluent rapidement. Ce type de connaissances sera très utile pour savoir qui sera réellement protégé par les futurs vaccins ».

Dès le mois de mars, Philippe Desprès a pris contact avec la start-up Torskal, également hébergée au Cyroi. Sa fondatrice, Anne-Laure Morel, développe depuis plusieurs années un concept de détection des cellules cancéreuses avec des nanoparticules d’or et de plantes médicinales locales. 

PIMIT et Torskal ont fusionné leurs compétences pour imaginer une technique d’implantation de composants du virus sur des nanoparticules d’or. Mises en contact avec le plasma du patient, elles « diront » si ce dernier a été exposé au virus. Cet axe de recherche a été validé par l’université mais aussi par la Société d’Accélération du Transfert de Technologies (SATT AxLR) de Montpellier, financeur de projets, qui a permis à l’équipe réunionnaise de produire une preuve de concept et de déposer une demande de brevet. 

« Les premiers résultats sont concluants, commente Philippe Després, ils pourront sans doute être déclinés sur un plan vaccinologique, si les nanoparticules injectées génèrent un anticorps et donc une immunité ».

Les personnes fragiles – diabétiques, nombreux à La Réunion, personnes âgées – répondent mal aux vaccins habituels. La technique des nanoparticules d’or pourrait se révéler particulièrement adaptée à leurs cas. L’avancée du projet reste toutefois conditionnée par l’évolution de l’épidémie sur l’île et à la disponibilité d’échantillons d’analyses.

Quand le SARS-CoV-2 est apparu, nous avons naturellement souhaité contribuer aux recherches sur le sujet

Patrick Mavingui, directeur de PIMIT

DéTROI propose une piste thérapeutique

L’UMR DéTROI, dirigée par Olivier Meilhac, travaille depuis 2015 sur les facteurs du diabète de type 2 et ses complications à La Réunion. Son projet est d’utiliser des nanoparticules lipidiques comme support de principes actifs thérapeutiques. Dès l’apparition de la Covid-19, une nouvelle idée est née : utiliser ces nanoparticules, les HDL, comme vecteurs d’antivirus qui seraient administrés aux patients par voie respiratoire.

Sous la tutelle de l’université de La Réunion et de l’Inserm, l’unité mixte de recherche diabète athérothrombose thérapies océan Indien (DéTROI) veut mieux comprendre les facteurs qui favorisent le diabète de type 2 à La Réunion, dont la prévalence est la plus élevée de France, et les complications vasculaires et cérébrales qui en découlent. Son objectif, in fine, est de découvrir dans la diversité végétale réunionnaise des principes actifs d’origine naturelle pour les soigner, en utilisant notamment des nanoparticules de lipoprotéines HDL – le « bon cholestérol » – comme potentiel vecteur.

« Les HDL sont comme des sacs vides, dans lesquels nous imaginons placer un principe actif thérapeutique, explique Olivier Meilhac, directeur de DéTROI. Il est aujourd’hui démontré que ces HDL thérapeutiques ont des effets anti-inflammatoires et peuvent être utilisées, en intraveineuse, dans le traitement des septicémies. Puisque la Covid-19 est une maladie avec des complications pulmonaires, nous imaginons une solution thérapeutique visant à soigner les patients par voie respiratoire, en plaçant dans les HDL des copies inversées des gènes de SARS-CoV-2, qui viendraient contrer le virus lui-même ».

Ce génome factice agirait comme un leurre qui aboutirait à limiter la réplication du virus. L’idée fait son chemin dans l’unité DéTROI qui collabore étroitement avec l'unité voisine, processus infectieux en milieu insulaire tropical, PIMIT. Ils ont passé commande de copies de génome, et ont commencé à fabriquer les nanoparticules lipidiques qui transporteront ces molécules antivirales jusque dans les poumons des patients.

Une première étape de l’expérimentation consiste à infecter des cellules in vitro et à vérifier si le « piège » fonctionne. Si tel est le cas, les premiers tests sur souris pourraient démarrer dès le mois de septembre 2020.

L’idée a été jugée suffisamment intéressante pour être brevetée auprès de l’Inserm. « À ma connaissance, nous sommes les seuls à travailler sur l’utilisation de ces nanoparticules pour lutter contre la Covid-19 », souligne Olivier Meilhac.

Nous imaginons une solution thérapeutique visant à soigner les patients par voie respiratoire...

Olivier Meilhac, directeur de DéTROI

La Covid-19, d’un outre-mer à l’autre

Les sciences humaines et sociales contribuent à la connaissance des phénomènes épidémiques et pandémiques. Un groupe de chercheurs propose ainsi un projet consacré aux outre-mers français face à la Covid-19. Porté par l’unité de recherche OIES (océan Indien espaces et sociétés), il est candidat au financement de la Région pour étudier l’impact de la pandémie sur les différents territoires ultramarins, avec des volets plus ciblés sur La Réunion et Mayotte, les variables climatiques dans la circulation du virus et, à La Réunion, sur la circulation des discours sanitaires dans l’espace public et leur perception.

« La santé est un objet de recherche par essence pluridisciplinaire, souligne le professeur François Taglioni, géographe spécialiste des risques sanitaires et porteur de ce projet. Aux côtés de leurs collègues des sciences de la vie, des spécialistes de l’économie, de la géographie ou de la communication sont également concernés. Sur la Covid-19, nous souhaitons lancer des recherches en lien avec nos thématiques respectives, sur des aspects peu étudiés de la pandémie ».

L’unité de recherche océan Indien, espaces et sociétés, qui regroupe les géographes du CREGUR (centre de recherches et d'études en géographie de l’université de La Réunion) et les historiens du CRESOI (centre de recherches sur les sociétés de l’océan Indien) porte ainsi un projet pluridisciplinaire soumis au financement du FEDER et de la Région dans le cadre de l’appel à manifestation d’intérêt « Lutte contre la Covid-19 ». L’institut Pasteur de Madagascar, le laboratoire ICARE de l’université de La Réunion (institut coopératif austral de recherche en éducation) et le laboratoire LCF (aboratoire de recherche sur les espaces créoles et francophones) sont également associés à ce projet.

« Les outre-mers français et la Covid-19 : analyses socio-spatiales, communication et perception » se propose d’identifier les spécificités de la diffusion de l’épidémie dans l’espace des territoires ultramarins, en visant notamment à dresser une cartographie des risques sanitaires à La Réunion et Mayotte, où la dengue circule activement en même temps que le virus de la Covid-19. Un autre axe du projet propose d’évaluer les connaissances, attitudes et pratiques des populations de deux départements de l’océan Indien face à la Covid-19.

Un troisième volet vise à vérifier l’influence des variations climatiques sur la diffusion du virus, mise en lumière par des études internationales, dans le cas plus particulier des outre-mers français.

Enfin, les spécialistes des sciences de la communication souhaitent approfondir leurs travaux sur la circulation sociale des représentations et des discours produits durant la crise de la Covid-19 et les réactions de confiance ou de défiance vis-à-vis des experts dans les territoires insulaires.

« Ce projet, s’il est accepté, se déroulera sur deux ans, précise François Taglioni. Au-delà de la connaissance qu’il va produire, ses résultats pourraient avoir une utilité pratique, en permettant par exemple de mieux cibler les messages sanitaires aux populations dans des circonstances similaires. »

Le projet Covi-Dago retenu par l’agence universitaire de la francophonie

Le projet Covi-Dago, porté par l’université de La Réunion en collaboration avec ses homologues d’Antananarivo (Tananarive) et de Toamasina (Tamatave), a été retenu par l’agence universitaire de la francophonie (AUF) dans le cadre d’un appel à projets visant à soutenir des initiatives de lutte contre la pandémie de Covid-19. Covi-Dago consiste à créer une plate-forme de biologie moléculaire au sein des universités d’Antananarivo et Toamasina afin de former des étudiants à la RT-PCR, technique de diagnostic d’une infection par le SARS-CoV-2.

Coordonné par le professeur Philippe Gasque, Covi-Dago est complémentaire au programme Immuno-Dago qui permet actuellement le déploiement de plusieurs plateformes hospitalières de diagnostic du SARS-CoV-2 à Madagascar. Les plateformes universitaires d’Antananarivo et Toamasina recevront exactement les mêmes équipements, réactifs et consommables que ceux présents dans les hôpitaux. Les séances de formation pratique se feront en visioconférence avec La Réunion.

Le regard des sciences humaines et sociales

Le contexte épidémique a suscité diverses initiatives de la part des enseignants-chercheurs en sciences humaines et sociales de l’université de La Réunion. Spécialiste de l’économie sociale et solidaire, Jérôme Gardody, maître de conférences à l’institut d’administration des entreprises rattaché au CEMOI (centre d’économie et de management de l’océan Indien) s’est employé à étudier les multiples initiatives humanitaires et citoyennes de ce segment de l’économie locale, dès le début de la crise sanitaire sur l’île. Il a produit un webinaire de réflexion sur le sujet, mis en ligne sur Youtube.

Florian Chouchou, enseignant-chercheur au laboratoire IRISSE (ingénierie de la santé, du sport et de l’environnement, département STAPS), a pour sa part lancé une enquête pour mieux comprendre les effets du confinement sur le bien-être des Réunionnais à partir d’un questionnaire internet. Sans surprise, les premiers résultats montrent que ce bien-être a été profondément altéré pendant le confinement. Les Réunionnais qui ont été confrontés à une baisse importante de leur activité physique ou ceux rapportant des problèmes de sommeil pendant cette période ont ressenti une diminution importante de leur bien-être. Ainsi, le maintien d’une activité physique et d’un rythme de sommeil régulier, en évitant les couchers trop tardifs notamment, ont permis à d'autres de mieux vivre cette période de confinement. Afin de compléter cette enquête numérique qui a touché un public relativement jeune, l’équipe d’IRISSE, appuyée par les étudiants de la filière activité physique adaptée et santé du département STAPS, travaillent à une enquête a posteriori, plus spécifiquement centrée sur les sujets âgés, particulièrement fragilisés par le confinement.