Dossier

Le risque cyclonique sous les feux croisés de la recherche

Le risque cyclonique sous les feux croisés de la recherche

Programme multidisciplinaire de grande envergure, ReNovRisk (Recherche Intégrée et Innovante sur les Risques Naturels) porte sur le risque cyclonique dans le bassin sud-ouest de l’océan Indien. Initié en 2017, il se prolongera jusqu’en 2022 et mobilise de nombreux partenaires, à La Réunion et dans les pays voisins. Sa finalité ultime : grâce à une meilleure connaissance des phénomènes cycloniques, de leurs conséquences mais aussi de leurs évolutions à long terme en lien avec le changement climatique, guider les politiques d’aménagement du territoire pour réduire le risque.

ReNovRisk fait partie des projets de recherche majeurs actuellement soutenus par les programmes européens FEDER et Interreg V Océan Indien, l’État, la Région Réunion, le BRGM et le CNRS. Un soutien de 6 millions d’euros à la hauteur de l’enjeu : élaborer des stratégies d’adaptation et de résilience à l’aléa cyclonique, à l’heure du changement climatique.

Les cyclones qui frappent chaque année les terres habitées du sud-ouest de l’océan Indien peuvent en effet provoquer des dégâts humains et matériels considérables. En mars 2019, le cyclone tropical intense Idai a par exemple causé la mort de plus de 1 000 personnes au Mozambique et dans les pays voisins.

ReNovRisk se décompose en quatre volets. ReNovRisk Cyclones, lancé dès septembre 2017, a pour vocation d’affiner les connaissances sur les cyclones et les modèles de prévision, mais aussi de simuler les conséquences à long terme du changement climatique sur ces phénomènes extrêmes. Les données produites par ReNovRisk Cyclones alimentent les trois autres composantes du projet. Le volet Erosion s’inscrit dans la continuité des recherches engagées sur les mouvements de terrain de grande envergure constatés dans le cirque de Salazie et sur le risque hydrologique dans la rivière des Pluies.

ReNovRisk Erosion concerne uniquement La Réunion, tout comme ReNovRisk Transferts qui porte sur l’enchaînement des aléas cycloniques (vents, précipitations, crues, érosion, submersion, dégradation littorale) sur le versant ouest de l’île, des hauteurs de la planèze du Maïdo aux récifs coralliens. 

Enfin, ReNovRisk Impacts constitue le volet socio-économique du programme. Il s’attache à mesurer les coûts directs et indirects du passage d’un cyclone afin d’évaluer ceux des cyclones futurs, à La Réunion mais aussi dans la région d’Antananarivo, à Madagascar.

« Pour la première fois, un projet amène des spécialistes de disciplines aussi variées que l’hydrogéologie, la physique de l’atmosphère, l’océanographie, la géographie ou l’économie à travailler ensemble, souligne Pierre Tulet, qui a dirigé le Laboratoire de l’Atmosphère et des Cyclones (LACy) jusqu’à fin 2019 et coordonné ReNovRisk jusqu’à la fin 2020. Cette synergie interdisciplinaire, peu commune, a été permise par la transversalité entre les sciences technologiques et humaines de l’université de La Réunion qui facilite les contacts entre enseignants-chercheurs et chercheurs».

Pierre Tulet, qui a quitté l’île fin 2020, a été remplacé par Joël Van Baelen dans les fonctions de directeur du LACy et de coordonnateur de ReNovRisk.

 

Pour aller plus loin : 
http://link.springer.com/article/10.1007/s1106-021-04624-w
Joël Van Baelen, directeur de recherche au CNRS, directeur du laboratoire de l'atmosphère et des cyclones (LACy)
 

ReNovRisk Cyclones

Affiner les prévisions, anticiper le changement climatique

Le premier volet de ReNovRisk, lancé dès 2017, alimente les trois autres composantes du projet. Ses objectifs : affiner les données sur les cyclones tropicaux dans le sud-ouest de l’océan Indien, améliorer les systèmes de prévision et simuler les effets à long terme du changement climatique.

Nombre de ces données sont issues d’une campagne expérimentale de grande envergure menée à l’aide de ballons météo, de drones aériens et sous-marins, de capteurs fixés sur des oiseaux marins ou des tortues... Les observations se poursuivent jusqu’à fin 2021.

 

Affiner les modèles de prévision, évaluer les conséquences du changement climatique sur les cyclones, développer la coopération entre les îles et les pays du sud-ouest de l’océan Indien et les actions de formation : tels sont les objectifs de ReNovRisk Cyclones, le premier volet du vaste programme de recherche.

Des partenaires de plusieurs pays (Madagascar, Maurice, Mozambique, Seychelles) y sont associés, aux côtés du Laboratoire de l’Atmosphère et des Cyclones (LACy), constitué par l’Université, le CNRS et Météo France. « Nos recherches ont déjà produit des résultats sur la prévision de l’activité cyclonique à l’horizon 2100, annonce Olivier Bousquet, directeur de recherche à Météo France, directeur adjoint du LACy et coordonnateur de ReNovRisk Cyclones jusqu’à ces dernières semaines. Les saisons cycloniques pourraient démarrer plus tardivement, en décembre plutôt qu’en novembre, les dépressions les moins fortes et les cyclones tropicaux très intenses ne devraient être ni plus, ni moins nombreux qu’aujourd’hui. En revanche, l’intensité des cyclones et des cyclones intenses pourrait augmenter de 4 à 5% et les précipitations de 20 à 30%, ce qui n’est pas anodin ».

Même s’il est fortement perturbé par la crise sanitaire et la fermeture des frontières régionales depuis mars 2020, le programme de formation à l’observation et à la prévision a déjà bénéficié à une quarantaine de prévisionnistes et d’étudiants malgaches, mozambicains et seychellois.

Le développement de nouveaux outils est en cours et permettra des avancées importantes en matière de prévision d’intensité et de trajectoires des cyclones.

Ces travaux exploitent les observations faites lors d’une campagne expérimentale de grande envergure menée en 2018 et 2019. D’importants moyens ont été déployés. Météo France a fourni des drones capables d’emporter 5 kilos d’appareils de mesure. Décollant de Cambaie, ils ont volé dans un rayon de 500 km autour de l’île. Des drones sous-marins du CNRS ont également été sollicités. 800 lâchers de ballons-sondes ont été réalisés à Madagascar, à Mayotte et au Mozambique, des balises émettrices ont été posées sur des tortues, sur des oiseaux marins, des satellites européens ont été mis à contribution lorsque des cyclones se sont formés sur la zone…

Les instruments de mesure de la température de l’eau posés sur les tortues donnent des résultats de grand intérêt lorsque les animaux traversent des zones impactées par des cyclones. Dans ces conditions, en raison de la couverture nuageuse, les moyens spatiaux ne peuvent effectuer cette mesure pourtant fondamentale pour prédire l’évolution des tempêtes tropicales. L’équipement de tortues marines recueillies puis relâchées par le centre Kelonia de Saint-Leu s’est poursuivi en 2020. Il s’étend cette année à l’ensemble du bassin du sud-ouest de l’océan Indien, grâce à l’implication des différentes réserves marines de la zone.

Nos recherches ont déjà produit des résultats sur la prévision de l’activité cyclonique à l’horizon 2100

Olivier Bousquet, directeur de recherche - Météo France

ReNovRisk Erosion

Comment les cyclones déconstruisent La Réunion

Le volet Erosion de ReNovRisk s’inscrit dans la continuité de plusieurs projets de recherche qui ont étudié les mouvements de terrain majeurs constatés à La Réunion, notamment dans le cirque de Salazie. Le Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM) poursuit l’acquisition de connaissances sur ces évolutions rapides du relief, accélérées lors des épisodes cycloniques.

ReNovRisk Erosion englobe également l’étude du risque hydrologique dans la rivière des Pluies, menée par l’Université.

Île volcanique jeune, La Réunion est connue à la fois pour les records mondiaux de précipitations enregistrés sur son sol et la force de l’érosion qui modifie rapidement son relief montagneux. Les deux phénomènes sont étroitement liés et menacent directement des zones habitées. En 1980, dix personnes d’une même famille avaient perdu la vie à Grand-Îlet, emportées par un glissement de terrain lors du passage du cyclone Hyacinthe. Le drame avait contribué à la prise de conscience de ce risque, majeur dans le cirque de Salazie. Dans les années 2000, sur la base de premières études, le BRGM a mené deux projets, MV-Terre 1 et 2, permettant de mieux prendre la mesure des glissements de terrain qui affectent Salazie, mais aussi des effondrements de remparts menaçant d’autres zones de l’île. Le volet Erosion de ReNovRisk, également animé par le BRGM, s’inscrit dans cette continuité.

Plusieurs protocoles de suivi sont mis en œuvre dans ce cadre depuis fin 2019. Une centaine de capteurs sismiques ont notamment enregistré la propagation des ondes de tirs d’explosifs souterrains qui renseigne sur la nature et la géométrie des couches du sous-sol traversées. Les glissements de terrain sont également suivis par GPS de haute-précision. « Les données en cours d’acquisition permettront d’anticiper des changements de comportement du glissement, explique Bertrand Aunay, hydrogéologue au BRGM. Nous cherchons notamment à déterminer si des créations instantanées de ravines, telles qu’elles se sont produites pendant le cyclone Hyacinthe, sont susceptibles de se reproduire dans des zones habitées ». Entre autres campagnes de mesures, des "levers Lidar" (détection et estimation de la distance par laser) ont été effectués depuis un hélicoptère pour produire une topographie très précise du sol du cirque de Salazie, sans la végétation qui le masque sur les photos aériennes.

L’année 2021 est essentiellement consacrée à l’interprétation des données collectées, le rendu des études étant prévu mi-2022.

Risque hydrologique sous surveillance

Le projet ReNovRisk offre également l’opportunité de renforcer le programme d’observation des phénomènes gravitaires et érosifs sur le bassin versant de la rivière des Pluies. La zone est étudiée depuis plusieurs années par le Laboratoire Géo Sciences Réunion (LGSR) porté par l’université, le CNRS et l’IPGP et elle est intégrée à un réseau national de bassins versants expérimentaux. « La rivière des Pluies a toujours intéressé les institutions en charge de la gestion des risques, souligne le professeur Jean-Lambert Join, hydrogéologue au sein du LGSR, en raison des enjeux : la protection des quartiers riverains mais aussi de la piste de l’aéroport, au niveau de l’embouchure. Il s’agit d’un très bon sujet d’observation, déjà équipé de divers instruments de mesure et sur lequel nous disposons de données anciennes. Dans la cadre de ReNovRisk, nous allons développer jusqu’en 2022 des mesures plus expérimentales du risque hydrologique ».

Pour la première fois, un projet amène des spécialistes de disciplines aussi variées que l’hydrogéologie, la physique de l’atmosphère, l’océanographie, la géographie ou l’économie à travailler ensemble

Pierre Tulet, directeur de recherche - CNRS

ReNovRisk Impacts 

Combien coûte un cyclone ?

ReNovRisk Impacts constitue le volet socio-économique de l’analyse du risque cyclonique. Il s’attache à mesurer les coûts directs et indirects du passage d’un cyclone afin d’évaluer ceux des cyclones futurs. Sur cette base, des scénarios d’aménagement du territoire permettant de réduire ces impacts pourront ensuite être élaborés.

Le champ des recherches en cours englobe La Réunion et la région d’Antananarivo (Madagascar).

La première action de ReNovRisk Impacts a consisté à dresser un état des lieux de la vulnérabilité du territoire aux cyclones. « Nous avons travaillé sur l’occupation des sols, les types d’habitat et de culture, explique Sabine Garabedian, maître de conférence en économie de l’environnement et coordinatrice du projet. Cette action est terminée pour ce qui concerne le territoire de La Réunion : nous avons identifié les zones les plus exposées, en menant des analyses plus fines sur certains secteurs sensibles ».

Le projet couvre également la région d’Antananarivo, la capitale malgache. Même si cette partie de la Grande Île est moins sévèrement touchée par les cyclones que certaines régions côtières, elle a été choisie pour abriter les compétences nécessaires à l’élaboration d’une méthode expérimentale qui pourra être ensuite appliquée ailleurs dans le pays. Un stagiaire de l’université Catholique de Madagascar s’attache actuellement à collecter les données disponibles, avec l’aide du Bureau national de gestion des risques et des catastrophes.

La deuxième action du projet, en cours, s’attache à évaluer les dommages directs des cyclones passés, un travail qui n’avait jamais été entrepris jusqu’alors. Des données optiques et radars ont été produites par l’unité mixte de recherche Espace pour le Développement de l’université de La Réunion et de l’IRD, notamment sur la base d’images fournies par l’Agence spatiale européenne et ses satellites Sentinel. Elles ont été croisées avec les déclarations de sinistres auprès de la Caisse de Réassurance, pour La Réunion : un lien peut ainsi être établi entre les intensités de vent et de pluie et des montants dépensés pour réhabiliter les habitations, les infrastructures et les cultures dégradées. À Madagascar, une thèse est en cours de réalisation sur le sujet, avec l’Institut et observatoire géophysique d’Antananarivo. Deuxième objectif : comparer les coûts des dommages des cyclones actuels avec ceux des futurs cyclones, dont on sait qu’ils seront plus intenses avec le changement climatique. 

La troisième action de ReNovRisk Impacts, qui doit débuter en septembre 2021, visera à évaluer les coûts indirects des cyclones et les efforts économiques qui doivent être consentis pour absorber ces chocs. « L’objectif est de développer, avec le Cemoi (Centre d'Economie et de Management de l'Océan Indien, université de La Réunion), un modèle d’équilibre général calculable qui permettra de mieux comprendre comment l’impact d’un cyclone se propage dans l’économie », précise Sabine Garabedian, avec ses effets négatifs, mais aussi positifs, les travaux de reconstruction générant de l’activité, donc de l’emploi et des revenus ».

À Madagascar, moins de naissances après les cyclones

Le volet Impacts de ReNovRisk a livré un premier résultat inattendu. À l’initiative d’Idriss Fontaine, ingénieur de recherche en charge du projet, les chercheurs ont établi une corrélation entre le passage d’un cyclone sur Madagascar et la fertilité des femmes dans les régions concernées. L’étude a pris pour base une vaste enquête de santé publique menée dans la Grande Île de 1985 à 2009. Les données géolocalisées sur les naissances ont été superposées à celles des vitesses de vent. Constat statistique : une exposition à des vents cycloniques (plus de 100 km/h) induit une baisse de 25 points de la probabilité d’avoir des enfants dans l’année. Le phénomène fait encore sentir ses effets les deux années suivantes (-5,9 points puis -2 points).

Hypothèse : les couples reportent leur projet de conception d’un enfant après avoir subi le choc d’un cyclone, en raison des pertes de revenus et de moyens de subsistance qu’il implique.

ReNovRisk Transferts 

Du Maïdo au lagon, les effets des cyclones à la loupe

Le volet Transferts de ReNovRisk étudie les risques naturels liés au passage d’un cyclone sur La Réunion, plus particulièrement sur son versant ouest (planèze du Maïdo) et sur le littoral entre Saint-Paul et Saint-Leu. Spécialistes de l’atmosphère, hydrologues et océanographes s’attachent à mesurer plus précisément les précipitations et les vents cycloniques, à comprendre les effets locaux du relief et à étudier les impacts des cyclones sur la barrière corallienne qui borde cette partie des côtes réunionnaises.

Un cyclone produit des effets immédiats par les vents violents et les masses de précipitations qui s’abattent sur les terres, par des crues subites et des inondations mais aussi par des phénomènes de submersion de la côte et de casse du corail liés à la houle et à l’élévation du niveau de l’océan. Les crues transportent également jusqu’à la mer des matières en suspension susceptibles de modifier le trait de côte et d’altérer la vitalité de la barrière récifale. Ces « transferts » des aléas cycloniques entre les milieux naturels (l’atmosphère, l’hydrosphère, le trait de côte, le lagon, la barrière récifale et l’océan ouvert) sont étudiés dans le cadre du volet éponyme de ReNovRisk. « Nous avons choisi de concentrer nos recherches sur le versant ouest de La Réunion, plus particulièrement sur la planèze du Maïdo et la côte de Saint-Paul à Saint-Leu, pour nous appuyer sur les moyens d’observation existants : l’observatoire de physique l’atmosphère du Maïdo, les stations hydrologiques dans les ravines Bernica et Saint-Gilles et les stations de mesure côtières », explique Jean-Pierre Cammas, directeur de recherche au CNRS et directeur de l’Observatoire des Sciences de l’Univers de La Réunion (OSU-R), coordinateur de ReNovRisk Transferts.

Le projet se décompose en quatre grandes actions. La première, qui concerne l’étude de la pluie et du vent, est la plus avancée. « Notre objectif était d’affiner les données disponibles, détaille Hélène Vérèmes, docteure en physique de l’atmosphère, qui a consacré son post-doctorat au sujet. Pour la pluie, nous avons fusionné des données radar corrigées par des relevés pluviométriques de Météo France. La résolution temporelle a ainsi pu être descendue d’une heure à 15 minutes. Pour le vent, les données du Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme (ECMWF) avaient une grille de résolution de 9 km2. Nous les avons corrigées avec d’autres mesures et notre modèle numérique a pu produire un champ de vents avec 500 m de précision sur la totalité du territoire de La Réunion, prenant en compte les effets locaux très importants du relief ».

Deux autres actions de RenovRisk Transferts portent sur les aléas hydrologiques (crues et infiltrations) et sur les aléas littoraux. Rémi Belon, océanographe au Bureau de recherches géologiques et minières de La Réunion, a notamment démarré fin 2020 une étude sur les transferts de sédiments sortant de la rivière des Galets vers le littoral de la baie de Saint-Paul. Des campagnes de mesures bathymétriques et photogrammétriques, par drone, sont prévues avant et après le passage des cyclones et des trains de houle australe, jusqu’à fin 2022. 

La dernière action du projet Transferts consistera à diffuser en open data l’ensemble des résultats obtenus.

ReNovRisk Erosion et Transferts sont financés dans le cadre du programme opérationnel FEDER 2014-2020 par l'Union européenne, la Région Réunion et l'Etat. 

Renovrisk Impact et Cyclones sont financés dans le cadre du programme opérationnel INTERREG V 2014-2020 par l'Union européenne, la Région Réunion et l'Etat.