Une journée au labo

Que cachent les récifs coralliens ?

Que cachent les récifs coralliens ?

Une équipe du laboratoire ENTROPIE menée par Henrich Bruggemann, en collaboration avec le Muséum national d’histoire naturelle, étudie le cryptobiome (les êtres vivants « cachés ») des récifs. Pour cela l’équipe inventorie les animaux et les plantes dans des petits récifs artificiels immergés depuis deux ans.
Ces structures autonomes de surveillance des récifs ou Arms (Autonomous Reef Monitoring Structures) sont conçues de façon normalisée dans le but de pouvoir comparer différentes études.
Pour étudier ce cryptobiome, l’équipe d’ENTROPIE utilise une méthode innovante : le metabarcoding. 

A 7h sur le port de Saint-Gilles encore calme, une équipe de l’université de La Réunion s’active dans la discrète station marine. La salle blanche est en effervescence, les discussions pour organiser la journée et le bruit de la préparation du matériel couvrent celui de la machine à café.
Une partie de l’équipe embarque pour aller récupérer des Arms tandis que l’autre partie reste au laboratoire pour préparer l’accueil des récifs artificiels.
Arrivés au large de La Saline-les-Bains, les plongeurs récupèrent un Arms fixé au récif dans la zone de protection intégrale de la réserve marine. Pendant que les trois plongeurs emmenés par Henrich Bruggemann décrochent l’Arms et l'enferment dans une boîte en plastique afin qu’aucun animal ne s’en échappe, deux scientifiques prélèvent et filtrent de l'eau de mer. Celle-ci sera versée dans le contenant de transport de l’Arms et dans les bacs qui accueilleront les animaux au laboratoire.« Il est important de prendre de l’eau à proximité de l’Arms pour ne pas risquer une éventuelle contamination et pour que la composition de l’eau soit la même dans la mer qu’au laboratoire » précise Marion Couëdel, doctorante en biologie marine. 

De retour à la station marine après une vingtaine de minutes agitées par les vagues, le matériel est débarqué et la boite de transport opaque dévoile enfin l’Arms. Il s’agit d’un empilement horizontal de plaques carrés, grises à l’origine mais entièrement colorées par les organismes qui s’y fixent et les colonisent. A l’intérieur du bac, dans l’eau troublée par les sédiments remis en suspension par le voyage, quelques poissons nagent. On aperçoit même des crevettes sur la plaque supérieure. Tout le monde se met au travail : pendant qu’une partie de l’équipe se prépare pour récupérer un deuxième Arms en mer, les autres s'affairent à démonter le récif artificiel et commencent à trier les animaux par familles.


L’Arms est démonté, chaque plaque est plongée dans de l'eau de mer en respectant l’orientation qu’elle avait au large (ceci afin de voir si cette orientation joue un rôle dans le peuplement du récif). Les animaux de plus de deux millimètres sont prélevés et triés par familles pour être inventoriés par la méthode du barcoding (voir encadré).
Il est 13 heures, personne n’a encore pris de pause, le travail de prélèvement est fastidieux, le reste de l’équipe revient avec un deuxième Arms à démonter. Le laboratoire est maintenant en ébullition, chacun sait ce qu’il doit faire : certains trient les animaux, d'autres les identifient pour les inventorier dans une base de données, d'autres lavent le matériel utilisé.
Les plaques sont photographiées pour analyser le recouvrement et identifier des organismes fixés comme les éponges. Cette faune immobile est ensuite grattée, broyée puis filtrée avant un inventaire par metabarcoding.

Après le travail de terrain, le plus long est à venir. De l’ADN de chaque animal sera prélevé puis amplifié (copie en très grand nombre) dans les laboratoires d’ENTROPIE avant d’être envoyé à Paris pour séquençage (lecture et analyse de l’ADN). Ce sont des taxonomistes qui se chargeront de l'identification des êtres vivants. 

Les séquences ADN reçues de Paris seront analysées grâce à des logiciels informatiques spécialisés dans l’analyse du vivant par Marion Couëdel, afin de dévoiler la diversité des récifs.

« Même si on est pratiquement sûr de découvrir de nouvelles espèces, le but est de faire un inventaire du cryptobiome des récifs réunionnais, grâce au barcoding » indique la chercheuse.

Mais ce n’est pas la seule application : « Un autre objectif est de comprendre le rôle du cryptobiome, comment il se met en place, qu'est ce qui l’influence, dans quelles conditions il est en bonne santé, quels sont les impacts de la pollution...  Si le temps de ma thèse le permet, j’aimerais aussi donner des outils et indicateurs aux réserves marines et aux bureaux d’étude de protocoles pour déterminer la santé d’un milieu. J’explore encore les multiples implications de ce travail de collecte avant de décider du projet définitif que je mènerais pendant mon doctorat ».

Contact : 
Henrich Bruggemann, professeur
Marion Couëdel, doctorante
laboratoire écologie marine tropicale des océans Pacifique et Indien ENTROPIE

Le barcoding est une technique d'identification génétique d'un individu ou d'un échantillon d'individu à partir d'une courte séquence d'ADN. Le metabarcoding consiste à appliquer le barcoding a un échantillon de plusieurs espèces afin de toutes les identifier.