Recherche et monde économique : l’indispensable partenariat
Recherche et monde économique : l’indispensable partenariatL’Université de La Réunion constitue le plus important vivier de chercheurs du territoire et leurs travaux peuvent potentiellement contribuer à la création de valeur pour l’économie et la société réunionnaise. La recherche fondamentale nourrit la recherche appliquée, les universitaires participent à l’innovation, les brevets et les contrats génèrent des ressources financières pour les laboratoires.
L’Université de La Réunion s’emploie à entretenir ce cercle vertueux et sensibilise ses étudiants à l’entrepreneuriat et à l’écosystème local de l’innovation, dont Qualitropic et la Technopole de La Réunion sont des acteurs majeurs.
Depuis bientôt deux décennies, l’Université de La Réunion encourage la valorisation sociétale et économique des travaux de recherche menés au sein de ses laboratoires. Avec plus de 350 chercheurs et enseignants chercheurs, et près de 300 doctorants, elle représente un véritable atout pour le territoire de l’île. Sa capacité à accompagner la Recherche & Développement et l’innovation au sein des entreprises réunionnaises est réelle. Afin de promouvoir ce rapprochement entre le monde académique et le monde économique, elle s’est dotée d’une mission Ecosysteme Recherche Développement Innovation, dont est actuellement chargé Thomas Petit, professeur des universités et ingénieur.
« La recherche académique nourrit la recherche appliquée, il n’y a aucun antagonisme entre les deux, souligne-t-il. Au sein des 22 unités de recherche de l’Université de La Réunion, nos chercheurs ont intérêt à répondre aux sollicitations des entreprises ou à attirer leur attention sur des connaissances nouvelles qu’elles pourraient valoriser ». Les exemples concrets de cette synergie territoriale sont nombreux. Thomas Petit cite notamment l’identification, dans le cadre d’une thèse, de levures présentes dans la biodiversité réunionnaise et dégageant des arômes intenses, et la mise au point d’un procédé provoquant des réactions biochimiques pour améliorer ces souches, qui a fait l’objet d’un dépôt de brevet. Une grande entreprise suisse du secteur des arômes s’est montrée intéressée pour tester le procédé et les souches. Si les résultats sont concluants, elle mettra en œuvre le procédé à l’échelle industrielle et versera des royalties à l’Université pour l’exploitation du brevet.
« La recherche appliquée est d’ailleurs encouragée par divers dispositifs d’aides, poursuit Thomas Petit. Là encore, les exemples sont nombreux. Le programme européen Feder finance ainsi un projet visant à identifier des utilisations possibles de plantes tinctoriales jadis cultivées à La Réunion et dont des spécimens existent encore, dans les domaines de l’industrie agroalimentaire, de la fabrication de peintures, de plastiques… De même, le Crédit Impôt Recherche permet à un exploitant de captages d’eau brute de faire travailler l’Université sur les molécules olfactives indésirables qui apparaissent parfois dans l’eau ».
La recherche appliquée ne concerne pas seulement le champ STS (Sciences Technologie Santé). Les compétences des chercheurs en Sciences Humaines et Sociales peuvent également être sollicitées pour répondre à des besoins sociétaux. Dernier exemple en date : un laboratoire de l’Université s’investit actuellement sur les questions de qualité de vie au travail, à la demande d’une profession libérale faisant le constat d’un turn over anormalement élevé au sein d’une catégorie de collaborateurs.
Les activités de valorisation économique de la recherche de l’Université de La Réunion produisent un chiffre d’affaires annuel d’environ 1,7 million d'euros, par le biais de contrats sur projets avec des acteurs privés, de prestations et de droits de propriété intellectuelle. « Les partenariats avec le monde économique présentent un intérêt majeur, conclut Thomas Petit. Les crédits reçus dans ce cadre par les laboratoires peuvent être utilisés de façon très souples et contribuent à l’autonomie de l’Université. Nous devons œuvrer à développer les recettes de la recherche, comme nous le faisons déjà avec la formation continue ».
Collaboration public-privé
UMR Espace-Dev et Marex : le blanchissement des coraux à la loupe
L’Unité Mixte de Recherche Espace-Dev collabore depuis plusieurs années avec le GIE Marex, constitué par trois consultants indépendants, notamment sur des programmes d’étude du blanchissement corallien à La Réunion, à Mayotte et aux îles Eparses. Spécialisée dans la spatialisation des données environnementales par télédétection spatiale, l’UMR développe avec Marex des méthodes basées sur l'imagerie satellite permettant d’évaluer l’état des récifs et leur évolution.
Le GIE Marex a été constitué en 2015 par Jean-Benoît Nicet, Mathieu Pinault et Julien Wickel, trois spécialistes de la biologie marine et de l’environnement tropical. Forts de leur expérience de plus de 20 ans dans ces domaines, ils ont créé leur structure pour réaliser des études d’impact avant des projets d’aménagement, participer à des projets scientifiques dans leurs disciplines respectives ou venir en appui aux gestionnaires d’espaces marins protégés. Le programme Becoming s’inscrit dans ce dernier cadre. Il a été lancé en 2016, quand les récifs coralliens de l'indo-pacifique ont connu un blanchissement massif. A l'initiatice de Marex, l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) et les unités mixtes de recherche Espace Dév et Entropie se sont alors regroupés pour mieux appréhender les mécanismes du phénomène et les réponses de l’écosystème sur les zones de récifs françaises de l’océan Indien (îles Eparses, La Réunion et Mayotte). Le programme avait aussi pour but d’aider à la mise en œuvre de mesures de gestion adaptées dans les aires marines protégées des trois îles, notamment en identifiant des zones sensibles à protéger en priorité, afin d’atténuer les impacts des futurs épisodes de blanchissement.
« Nous collaborons régulièrement avec le monde universitaire, explique Jean-Benoît Nicet. Nous réalisons des observations sous-marines en plongée mais nous avons besoin, en complément, d’une vision plus globale et plus spécialisée, telle que peuvent nous l’apporter des images satellites ». La spatialisation des données environnementales par télédétection satellitaire est justement la spécialité de l’UMR Espace et Développement (Espace-Dév), dont l’Université de La Réunion est un des organismes de tutelle, aux côtés de ses homologues de Montpellier 2 et des Antilles-Guyane et de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD). « Nous sommes intervenus sur les questions méthodologiques du programme, le traitement des images et leur interprétation, explique Pascal Mouquet, ingénieur d’études à l’UMR. Nous faisons l’acquisition d’images satellites dans le cadre du dispositif Kalideos du Centre National d’Etudes Spatiales (CNES), visant à promouvoir l’usage de la donnée spatiale. Quand les conditions sont optimales au moment du passage du satellite, nous arrivons à visualiser le récif jusqu’à 30 m de profondeur avec, dans le cas des satellites Pléiades, des pixels de 50 cm de côté en noir et blanc et de 2 m en couleurs ». L’observation en plongée reste un complément indispensable de l’image satellitaire, qui ne peut distinguer les différents types corallien, ou un corail vivant d’un corail récemment mort puis recouvert d’algues suite au blanchissement.
Le phénomène devenant malheureusement récurrent, le programme Becoming est réactivé lors de chaque épisode. Ce fut le cas en 2019, puis en 2021 mais seulement à La Réunion. Le programme a permis l’édition d’un guide de suivi du blanchissement destiné aux gestionnaires des aires marines protégées de l’Outre-mer français, sous l’égide de l’Ifrecor (Initiative française pour les récifs coralliens) et coordonné par Marex.
Dans l’océan Indien, l’UMR Espace-Dev collabore par ailleurs régulièrement avec la Deal, l’Ifrecor, le parc marin de Mayotte ou la réserve naturelle marine de La Réunion, quand des compétences en traitement de données satellitaires sont sollicitées. Des compétences qui peuvent concerner des champs très différents, bien au-delà du suivi de l’état de santé du corail.
Pour en savoir plus :
sur Espace-Dev : https://www.espace-dev.fr/
le projet Becoming 2019 : https://horizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers20-06/010078422.pdf
le guide édité par l’Ifrecor : http://ifrecor-doc.fr/items/show/1859
Nous avons besoin des connaissances des chercheurs, l'université a besoin du pôle pour valoriser les résultats de la recherche.
Qualitropic
« Une dizaine de projets en permanence avec l’Université »
Créé en 2005, le pôle de compétitivité Qualitropic a pour vocation d’accompagner des projets innovants, portés conjointement par des entrepreneurs et des centres de recherche, dans le domaine de la bioéconomie tropicale. Depuis deux ans, son champ a été élargi à l’ensemble de l’Outre-mer. Les relations de Qualitropic avec l’Université de La Réunion sont permanentes. Le pôle met des entreprises en contact avec des laboratoires et, inversement, étudie les activités que pourraient générer les résultats de la recherche.
Le pôle de compétitivité Qualitropic a pour cœur de métier l’accompagnement technique et économique d’entreprises dont il a labellisé le projet, dans le domaine de la bioéconomie tropicale
Une thématique très large, qui comprend la production et l’exploitation de toute ressource tropicale d’origine végétale ou animale, alimentaire, non alimentaire ou considéré comme un coproduit ou un déchet. Ces projets doivent être en phase avec les grands enjeux de changement climatique, de raréfaction des ressources fossiles, de sécurité alimentaire, de préservation de la biodiversité ou de santé publique, souvent exacerbés dans un contexte tropical et insulaire.
« Nos actions sont orientés sur trois axes principaux, détaille Jérôme Vuillemin, le directeur du pôle. Le premier est alimentaire et agroalimentaire, domaine qui regroupe la moitié de nos 110 adhérents. Le deuxième englobe la chimie verte et bleue – cosmétique, parfumerie, produits pharmaceutiques – avec pour objectif de substituer les molécules issues de la pétrochimie par des molécules présentes dans la biodiversité ultramarine. Nous nous intéressons enfin aux matériaux du BTP et aux emballages ».
Les projets qui obtiennent le label Qualitropic bénéficient du soutien de l’équipe du pôle, constituée de 11 personnes, principalement ingénieurs ou docteurs. Ces derniers recherchent des financements, réalisent des études techniques, des études de coût, d’investissement et de rentabilité. Les compétences acquises par le pôle lui ont valu de voir son périmètre étendu à l’ensemble de l’Outre-mer il y a deux ans.
Qualitropic a également conclu un partenariat avec la société d’accélération du transfert de technologies (SATT) AxLR, basée à Montpellier et spécialisée dans la maturation et la commercialisation de projets innovants issus de la recherche académique.
AxLR est susceptible d’aider les chercheurs de La Réunion à transformer leurs travaux en un produit ou un service à commercialiser, de proposer aux entrepreneurs et industriels locaux des programmes de maturation technique et économique de technologies innovantes en réponse à leurs besoins, tout en réduisant le risque R&D pour ces derniers. Le contact a été établi avec l’Université et l’an passé la SATT AxLR a soutenu un projet de l’unité mixte de recherche Processus Infectieux en Milieu Insulaire Tropical (PIMIT) et de la start-up Torskal, portant sur une technique de détection des souches de Covid-19 dans le plasma.
L’Université de La Réunion, cofondatrice de l’association Qualitropic, y occupe également un poste de vice-présidence et les relations sont étroites entre les deux entités. « Nous accueillons des étudiants en stage, nous avons en permanence une dizaine de projets avec l’Université, ses unités mixtes de recherche et ses laboratoires, souligne Jérôme Vuillemin. Nous avons besoin de leurs connaissances, l’Université a besoin du pôle pour valoriser les résultats de la recherche. Qualitropic met régulièrement en contact des entreprises avec des chercheurs, et inversement si nous identifions des potentialités d’activité dans un programme de recherche ».
Le projet de recherche PLANTIN lancé suite à l’appel à manifestation d'intérêt (AMI) « Recherche développement et innovation » de la Région Réunion PO FEDER 2014-2020 et par le laboratoire CHEMBIOPRO de l’Université de La Réunion ambitionne de cribler la biodiversité végétale réunionnaise en vue de produire des pigments/colorants naturels à destination des marchés du textile, de la cosmétique, de l’alimentaire, … S’achevant fin 2022, ce projet réunit des compétences de laboratoires universitaires CHEMBIOPRO, QUALISUD, DETROI, du CBNM, du CYROI, de l’ICMR…
Le Pôle Qualitropic accompagne ce projet en vue du transfert des résultats de la recherche vers le monde industriel.
mieux nous savons ce que font les chercheurs, mieux nous faisons le lien avec les demandes des entreprises
Technopole de La Réunion
« Transformer en entreprises les beaux projets des laboratoires »
La Technopole de La Réunion, qui a fêté des 20 ans en 2021, est en connexion permanente avec l’Université, ses laboratoires et les unités mixtes de recherche. Elle est l’outil régional du développement par l’innovation, soutenue à la fois par l’Etat et les collectivités territoriales. Elle abrite en son sein un incubateur public dont la vocation est d’accompagner la création d’entreprises innovantes en s’appuyant sur les résultats de la recherche.
Depuis la création de Sophia Antipolis en 1969, le concept de technopole a essaimé partout en France. Celle de La Réunion a vu le jour en 2001, avec le même objectif de faire se rencontrer le monde de l’entreprise et celui de l’enseignement supérieur et de la recherche. Elle comptait logiquement l’Université parmi ses membres fondateurs. « Avec le temps, l’action des technopoles s’est orientée en priorité vers la détection des projets innovants et l’aide à la création d’entreprises innovantes, explique Laurent Gaboriau, son directeur général. La plupart d’entre elles se sont dotées d’un incubateur, qui vise à transformer en entreprises les beaux projets des laboratoires ».
Le dispositif avait été lancé en 1999 par le ministre Claude Allègre, dans le cadre de la loi sur l’innovation.
L’incubateur de la recherche publique de La Réunion a été mis en place par la Technopole dès 2002. Depuis, il a fait émerger 116 projets, dont une soixantaine ont débouché sur une création d’entreprise, générant au total 290 emplois et dont le taux de survie à cinq ans et proche de 70%. Les individus comme les entreprises existant depuis moins de six mois peuvent y être accueillies. Pour cela, ils doivent au préalable suivre une « pré-incubation », de durée variable, au cours de laquelle le degré d’innovation de leur projet est évalué. Ce dernier doit être adossé à un laboratoire public qui a la charge de démontrer la différenciation apportée par la preuve de concept. Après validation et évaluation du marché, le projet est présenté à un comité de sélection qui décide, ou non, de l’entrée en incubation. Dès lors, le porteur de projet bénéficie de l’appui d’un chargé de mission de la Technopole, 220 heures par an, et d’un budget maximal de 50 000 euros sur 24 mois pour financer des études et des prestations techniques, financières, commerciales…
Au quotidien, les 11 collaborateurs de la Technopole mènent des actions d’animation, d’information sur les outils de soutien à l’innovation. Concours, challenges et hackathons (marathons de programmation informatique collaborative) rythment leur calendrier. Ils animent également le programme « Start-up à l’école », qui permet aux jeunes pousses réunionnaises d’aller à la rencontre du monde de l’enseignement, dans l’espoir de susciter des vocations.
« Nous organisons aussi des labo tours, ajoute Laurent Gaboriau, consistant à aller visiter des unités mixtes de recherche et leurs laboratoires, pour nous tenir informés de leurs projets, de leurs sujets de travail qui évoluent forcément d’une année sur l’autre. Nous devons actualiser en permanence nos informations : mieux nous savons ce que font les chercheurs, mieux nous faisons le lien avec les demandes des entreprises. Etre en relation étroite avec les unités mixtes de recherche fait partie des gènes d’une technopole et ses liens sont entretenus au quotidien via les laboratoires auxquels sont adossés les projets incubés ».