Appel d'air
Appel d'airLe défi est grand pour nos futurs chercheurs car les connaissances scientifiques accumulées sont nombreuses. Leur quantité est telle que nous sommes peut-être plus à même de comprendre des processus complexes que d’en découvrir de nouveaux. Mais rien n’est joué d’avance !
Depuis six mois je suis professeur à l’Université de la Réunion dans le Laboratoire de l’Atmosphère et des Cyclones1 (LACy). Je suis plus précisément détenteur d’une position de « chair professor » au LACy dans le cadre du projet européen REALISTIC2 (Centre of Excellence in aerosol remote sensing technology and science in the Indian Ocean). Comment en suis-je arrivé là ?
L’enfant que j’étais voulait lui devenir pilote de chasse, non pas pour l’aspect guerrier que je ne visualisais pas à l’époque, mais pour l’adrénaline, les pirouettes et le simple fait de voler. Une myopie précoce m’a éloigné de ce rêve assez rapidement. J’ai tout de même passé mon permis de pilote de monomoteur à hélice à mes 25 ans. Cela ne va pas à Mach 3, mais on est dans les airs. Il y a toujours une alternative dans la vie si l’on est prêt à s’adapter.
Une fois détourné de la voie de pilote, je me suis engagé dans des études d’ingénieur généraliste, option optique/photonique, sans trop savoir ce que j’en ferai. J’ai réalisé mon stage de fin d’étude au Remote Sensing Group3 de l’Université d’Arizona aux Etats Unis, un petit groupe de recherche méconnu du grand public mais en étroite relation avec la France car c’est le groupe qui réalisait à l’époque les étalonnages des satellites français SPOT d’observation de la Terre. J’y suis resté 2 ans. Mon goût pour la recherche venait de naître.
Depuis les Etats Unis, j’ai été recruté par une entreprise et un laboratoire de recherche parisiens pour réaliser une thèse doctorale pour développer un petit lidar (radar travaillant á des fréquences optiques permettant de détecter les petites particules en suspension dans l’atmosphère) pour l’observation de la troposphère (la première couche de notre atmosphère située entre la surface terrestre et ~10 km). Mon attrait pour les airs, alias l’atmosphère terrestre, se confirmait.
Une fois mon doctorat en poche et après quelques courts séjours postdoctoraux outre Atlantique je commençais un postdoc au Remote Sensing Laboratory4 de l’Université Polytechnique de Catalogne5 à Barcelone en Espagne. J’y suis devenu professeur et j’y ai passé les 20 dernières années de ma carrière. Dans ce groupe, ma double formation de docteur-ingénieur a pris tout son sens car elle m’a permis, d’une part, de suivre les progrès de la technologie pour l’appliquer aux développements de système lidar de l’état de l’art et, d’autre part, de « faire de la science » avec les données collectées. Je me suis tourné assez rapidement vers l’étude des interactions entre les particules atmosphériques et le rayonnement, qu’il soit de source solaire ou terrestre. Ces interactions sont à l’échelle de la planète encore assez mal connues. Ceci est lié, entre autres, à l’énorme volume à sonder (le volume de l’atmosphère terrestre est d’environ 55 x 109 km3 ; pour vous donner un ordre d’idée, cela représente 2,5 fois le volume de la lune) et de la volatilité spatio-temporelle des particules atmosphériques.
Mon arrivée à l’Université de la Réunion est le fruit d’une rencontre en 2017 avec Valentin Duflot, chercheur au LACy, lors d’une réunion de travail d’un projet européen. Valentin m’a contacté en décembre 2021 pour me proposer de présenter un projet européen entre nos deux universités. Nous avons écrit le projet REALISTIC ensemble et cela a été (et est encore !) un succès. Au vu de ma thématique scientifique, l’île et l’Université de la Réunion ont plusieurs atouts. Nous sommes ici dans une région du globe très peu polluée par les émissions anthropiques, c’est-à-dire dues à l’activité humaine, mais aussi très peu documentée. Les processus physico-chimiques que nous détectons sont donc plus représentatifs de variations globales que locales, ce qui fait de l’île de la Réunion « la sentinelle du climat aux tropiques » comme l’aime l’appeler mes collègues du LACy. De plus, l’île de la Réunion dispose de l’Observatoire de physique de l’atmosphère de La Réunion6 (OPAR) auquel le LACy est associé. Situé au Maïdo, l’OPAR est un site d’observation unique par la qualité de son infrastructure et de ses instruments. Pour un atmosphéricien, disposer de l’instrumentation de l’OPAR offre des possibilités d’études presque infinies. Et cette infinité peut parfois donner le vertige. Je veux donc envoyer un message d’encouragement aux générations futures. Le défi est grand pour nos futurs chercheurs car les connaissances scientifiques accumulées sont nombreuses. Leur quantité est telle que nous sommes peut-être plus à même de comprendre des processus complexes que d’en découvrir de nouveaux, mais rien n’est joué d’avance!
Je finirai avec cette strophe du poète espagnol Antonio Machado : “Caminante no hay camino, se hace camino al andar” qui pourrait se traduire par : « Toi qui chemines, il n’y a pas de chemin, le chemin se fait en marchant ».
Le projet REALISTIC est financé par l'Union Européenne via le fonds Horizon Europe (GA 101086690)
Contact :
Michaël Sicard, professeur des universités.
1lacy.univ-reunion.fr
2lacy.univ-reunion.fr/activites/programmes-de-recherche/realistic
3wp.optics.arizona.edu/rsg/
4ors.upc.edu
5www.upc.edu/en
6opar.univ-reunion.fr